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Interview de Didier Hays pour l’exposition « Croix de Peu »

Didier Hays présente ses Croix de peu au Hiéron jusqu’au 3 janvier 2021. A défaut de pouvoir visiter l’exposition, nous vous proposons une interview avec l’artiste. Dans ses réponses très complètes, il dévoile les événements qui ont marqué sa vie d’artiste, les recherches qui l’animent et la genèse de l’exposition au musée du Hiéron. Un voyage dans l’univers poétique de Didier Hays…
Bonne lecture !

Propos recueillis par Chloé Tubœuf, assistante de conservation

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Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

D’origine bretonne et sarthoise par mon père et italienne par ma mère je suis né à Toulon, entre mer et montagnes. Ma famille italienne est faite de menuisiers ébénistes, dont mon grand père charpentier de marine, cela m’a mis tôt au contact du travail bien fait. Voilà pour la main.
Enfant surdoué pour le dessin et le modelage et avec une maman assez artiste, mes lointains souvenirs sont ceux d’odeur de peinture à l’huile quand maman travaillait à des paysages sur la table de la cuisine et la salle de classe l’hiver, le dessin des feuilles mortes, les poésies récitées et l’odeur de la gouache ou de l’encre violette dans des encriers de porcelaine blanche.
Pour l’esprit, ma culture artistique était celle de la Bande Dessinée que je copiais avec soin. Vint ensuite un goût immodéré pour la poésie et la littérature. Je suis un littéraire.
Adulte, il m’a fallu exercer divers petits métiers de survie dont celui d’éboueur qui a été une expérience du Nouveau Réalisme « en live » !
L’Ecole des beaux-arts de Paris me proposait une bourse d’études : j’y suis entré. Ce fût la découverte d’artistes importants et une plongée dans l’Art contemporain !
Fils de résistant déporté, l’Histoire vécue, son incroyable dimension métaphysique m’a fortement influencé.
Dessinateur, peintre, sculpteur, je n’ai cessé d’utiliser la photographie et la vidéo, et bien sûr l’écrit, j’ai publié en ligne des chroniques du milieu de l’Art dans lesquelles je décris ce que j’ai vu au fil des expériences dans ce petit monde fait de grandeur et de décadence.
Voyageur, curieux, je suis une fois au travail un artiste d’atelier, de cabinet, de confinement, ce qui m’amène à pratiquer des sports de grand air comme la plongée sous-marine ou la moto pour y trouver des sensations et une matière à exploiter ensuite.

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Madame Olga, Didier Hays, acrylique sur toile, 1998

Quel est votre parcours en tant qu’artiste ?

J’aime les chemins de traverse. Découvrir.
L’Ecole des beaux-arts a été un tremplin pour aller à la rencontre d’artistes reconnus, comme assistant puis ami. J’ai beaucoup travaillé pour des galeries d’art contemporain et des collectionneurs privés à l’international ce qui fût une école très utile. J’ai quand même fini par obtenir un diplôme dans l’atelier d’Olivier Debré.
Ma pratique est sans cesse débordée par mes virées dans les musées et les ateliers. L’appareil photo est depuis le début un carnet de note, chaque image constitue les lettres d’un long poème.
J’ai exposé pour la première fois en Allemagne et en Islande grâce à Paul Armand Gette dont j’aime l’impertinence. 
L’univers post dadaïste m’a fortement influencé même si j’en ai depuis évacué l’aspect révolutionnaire. Raoul Haussmann a été important pour moi et il est curieux que réfugié à Limoges, les deux artistes qui lui ont rendu visite sont devenus des proches : Paul-Armand Gette et Claude Viallat. Photographie-poésie d’un côté, peinture-peinture de l’autre !
La figuration m’intéresse dans sa dimension impertinente, à la fois profonde et drôle, je suis attiré par David Téniers le Jeune, Alfred Courmes, Giorgio de Chirico. Je ne peux oublier de citer Albert Marquet, le grand ami de Matisse, dont j’ai la fierté de posséder un dessin ! Ni de citer Picasso, il est le diable, le géant… L’abstraction me plaît lorsqu’elle est « sèche », celle des fresques d’Assise, d’Alberto Magnelli ou Claude Viallat.
Photographie donc, grands collages sur papier dans l’esprit de la Poesia Visiva italienne, peinture figurative et abstraite, sculpture faite d’assemblages hétéroclites, voici mes techniques.
J’ai exposé au Japon des toiles abstraites, des collages sur papier en Italie, je rêve de montrer mon travail de façon conjointe afin d’en montrer le fil ténu et la cohérence.
Les rencontres ont beaucoup compté, comme celles de Raymond Hains, Georges Noël, Gianni Bertini, Paul Facchetti, Olivier Debré, Bernar (sans d) Venet, Claude Viallat, Paul-Armand Gette. Le contact avec les aînés est primordial. J’ai une vision classique de l’Art.

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Croix de peu, Didier Hays, technique mixte, 2017-2019

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L’exposition au Hiéron présente une série de sculptures intitulée les Croix de peu. Expliquez-nous d’où est née cette idée et ce projet ?

Des mots « de peu ». Dans nos parcours elliptiques nous utilisions cette expression avec Raymond Hains pour désigner les « gens de peu », les simples, ceux que l’on aime observer, comme Albert Marquet croquait un porte-faix et le saisissait d’un coup d’encre de Chine. Et puis je ne cesse de me référer aux personnages hollandais de David Téniers le Jeune, joueurs de cartes, de boules, buveurs dans les tavernes.
Les Croix de peu sont celles des bords de route, que l’on fait avec des bouts de ficelle et des brindilles, ce sont celles de la foi toute nue, sans artifice, dans le dénuement. Il y a là un côté franciscain. Et puis ce sont celles des déportés, de Ravensbrück, de la baraque des prêtres à Dachau, là où l’on bricole avec du rien.
Les lectures y sont pour beaucoup dans le passage à l’acte de ces Croix de peu. Etienne Gilson d’abord, le plus grand spécialiste de saint Thomas, puis Gilbert Keith Chesterton, étayant des recherches sur les Pères. C’est ensuite devenu une figure de style, un exercice spontané. Je ne me refuse rien, il faut que cela « tienne le mur » c’est tout. Mes critères sont ceux de la statuaire classique : proportions, rigueur, ensemble et détails. Ensuite, je peux aller vers le simple ou alors vers l’ornement, l’hétérogène sans gêne, la fantaisie ou l’humour, mais je reste dans une certaine tenue, en tout cas je m’y efforce.
En 2019, j’ai exposé ces croix à Paris, l’occasion de rencontrer le critique Paul-Louis Rinuy qui a écrit un texte très juste (et très beau). Celui-ci m’a mis en contact avec Dominique Dendraël, conservatrice du musée du Hiéron. Le projet d’exposer ces croix de taille modeste dans les vitrines du Hiéron était née. La prolifération des croix a été l’occasion ensuite de jouer la « carte blanche » et d’investir les salles du musée. Un grand bonheur.

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Golfo, Didier Hays, acier peint et pierres, 2000, Lugano (Suisse)

Les Croix de Peu ne constituent qu’une partie de votre travail artistique dont le champ est vaste : vous êtes peintre, sculpteur, photographe, vidéaste… Pouvez-vous nous en dire plus ?

La plupart des artistes utilisent plusieurs techniques. Pour peindre ou sculpter, en tout cas à l’origine il faut savoir dessiner. Rodin pour réaliser ses plâtres ou Brancusi pour tester ses assemblages utilisaient la photographie, tous deux avec maestria ! Michel-Ange, Cellini, Picasso, tous sont passés d’une technique à l’autre et cela est même nécessaire pour cerner les buts que l’on souhaite atteindre. Je m’intéresse à la poésie. 
La photographie est dans ma pratique, un long poème visuel. Michel Butor a décrit mes images comme étant des photos de peintre. Il avait vu juste. Ce goût pour l’image vient de loin. J’ai été très tôt frappé par les images des camps de concentration nazis, semblant être le prolongement de l’imagination d’un Jérôme Bosch. Vivant sur la Côte d’Azur et ses charmes du Levant, ses paysages séduisants, j’ai aimé les cartes postales, les belles images ! Cela m’a amené à réaliser depuis 40 ans de grands collages, sortes de poèmes visuels qui accompagnent, ce sont des chroniques.
Chroniques par écrit aussi, écrits illustrés à la fois graves et burlesques que je publie en ligne.
Le dessin : il est la pratique essentielle, je continue ainsi à dessiner le modèle vivant.
La peinture en découle, je suis un rejeton d’Assise, des fresques de Padoue, des primitifs, et des diseurs de détails et d’ambiance du Nord, les Hollandais des Téniers à Ruisdael.
Mes sculptures sont œuvres de cabinet, à la façon d’un Julio Gonzales : formats restreints, harmonie et équilibre proche de la joaillerie, même avec des matériaux frustres. Je voudrais faire des sculptures qui seraient de la haute couture en modèle réduit. Cette recherche un peu naïve d’une perfection qui se dérobe sans cesse est propre à l’Art classique. Organiser, construire, tendre vers l’ancien idéal de la Beauté. Voilà qui est désormais révolutionnaire et semble inaccessible !

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Le Chemin de Damas (en cours de réalisation), Didier Hays, acrylique sur toile, 2020

Une seule peinture est présentée dans l’exposition, Le Chemin de Damas. Pourquoi ce choix ?

Parce que je manque d’espace. Or, j’ai eu la possibilité de disposer d’une résidence d’artiste au château de Trousse Barrière (Briare) en 2020 et d’avoir un grand atelier pendant quelques mois : cela m’a permis de reprendre la peinture, qui était en sommeil depuis des années. Le chemin de Damas est né dans la foulée. Lisant la vie de saint Paul j’ai été amusé par son parcours atypique. Ces types là, les apôtres, étaient des aventuriers ! Saint Paul de Tarse était fabriquant de tentes. J’utilise pour cuisiner un objet fétiche : le camping gaz. Claude Viallat dont j’aime la liberté a produit d’immenses tentes colorées. Je suis né dans le midi, un paysage proche, très proche de celui de la Syrie. Les ingrédients étaient prêts ! Je me suis lancé avec délectation dans la réalisation de ce tableau qui marque mon retour à la figuration.
Au Hiéron, il s’agit d’une exposition de sculptures : les Croix de peu.  Mais il fallait créer une respiration capable de compléter ces sculptures assez sérieuses et la photographie rehaussée montrant un homme concentré, entré en lui-même (Homme au prie-Dieu, 2019). Le chemin de Damas était là, prêt à remplir son rôle de compagnon cocasse, apportant de la couleur, un récit, presque une vue sur image d’un infime fragment d’imaginaire de saint Paul.
Un aveu enfin : me confronter à la Grande Peinture, aux chefs d’œuvre du musée du Hiéron était un défi, j’ai saisi l’occasion…

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Bois, Didier Hays, bois, crotte de lapin, métal, années 1990

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En découvrant les Croix de Peu, on peut penser aux courants du Land Art ou de l’Arte Povera. Comment vous positionnez-vous face à ces écoles artistiques ?

Le rapport se situe dans les matériaux utilisés, il y a un rapport à la nature. Mais je n’ai pas leur rigueur doctrinale. Les mouvements liés aux avant-gardes de l’après-guerre en Europe, furent tous révolutionnaires dans le projet évolutif d’une métamorphose constante du champ social et artistique influencé par les théories marxistes, la philosophie de l’Histoire de Hegel et sa linéarité vers une libération totale de toutes les contingences, un horizon sans cesse reculé d’ailleurs, et à mon avis un mirage. Je suis un classique, j’ai réglé mes comptes avec la Tradition en rendant à César ce qui lui appartient. Rien ne change, nous nous répétons, seuls les moyens et les apparences (qui sont trompeuses) varient. Michel-Ange n’utilisait pas la vidéo, certes, mais Claude Viallat décrit fort justement l’Art et le Temps comme une spirale, pas comme une ligne tendant vers un but ultime. L’homme de Lascaux est notre frère, nous sommes identiques en tous points. Je souscris à cette thèse. Nous nous répétons, comme les bénédictins répètent inlassablement les mêmes chants : c’est ainsi qu’ils évoluent et leurs courbes sont loin d’être folles. L’Orient aussi nous enseigne la permanence des choses malgré les progrès techniques.
D’autre part le Land Art, d’origine américaine et donc influencé par les effets de l’explosion du protestantisme et son refus de l’image et de l’anecdote tend vers un art total à la dimension de l’univers, englobant le paysage lui-même. Quant à l’Arte Povera, mouvement turinois, il est fortement teinté d’ésotérisme maçonnico-alchimique, ce qui a pu m’intéresser, leurs œuvres ne manquant pas d’élégance, je songe à Gilberto Zorio par exemple et ses étoiles de javelots, très audacieuses et réussies. Mais là aussi, il s’agit de déconstruction de la sphère classique et du monde Gréco-romain puis catholique qui a donné naissance à l’Art occidental moderne que nous connaissons jusqu’à la Réforme puis à la queue de comète qui mène à la fin du 19e siècle. Je cherche à construire. Sans autre ambition qu’utiliser les principes des grands anciens : ordre, harmonie, effort vers le Beau (notion en souffrance), équilibre, réconciliation des contraires, mesure, etc. Et dans une philosophie catholique au sens de saint Thomas. Mais là, nous entrons dans la grande tradition…

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Stella aluminium, Didier Hays, technique mixte, 1995

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Pourquoi utiliser des matériaux « pauvres » dans certains de vos travaux ? Comment ceux-ci font-ils sens dans votre œuvre ?

Par manque de moyens. Mais aussi par goût, il se dégage des matériaux « de peu » une sorte d’énergie, d’aspect brut, humble et sans artifice. J’aime ce dénuement. Mais cela n’empêche en rien d’avoir recours à des objets « fantaisie », d’introduire une dose de vulgarité avec les plastiques, de flirter avec le dérisoire pour chercher la limite, la « border line ».  Ou un jour peut-être d’aborder certains matériaux précieux, qui sont l’autre facette de la matière. J’ai ainsi en souffrance une sculpture de marbre gris de Carrare et d’or tressé. Un jour peut-être…
Cette économie de moyens consiste à produire le maximum de sens, ce qui est un paradoxe, à la façon des haïkus japonais. J’aimerais que mes sculptures atteignent cette sorte de perfection.  Et puis il y a une véritable métaphysique et symbolique de l’objet, de la matière. Je pense ainsi à Antoni Tapiès auquel je me suis beaucoup intéressé et que j’ai eu la chance de rencontrer. J’étais fasciné par sa façon de tordre un torchon ou de la paille pour les poser ensuite sur une toile brute… Il a vraiment ouvert une voie. De même chez Miro dont j’apprécie l’enfance et l’humour des sculptures. On revient toujours à la poésie naturelle de saint François, et le merveilleux Joseph Delteil a lui aussi chanté cette magie du simple, de l’humble, qui peut confiner au sublime. Si la catharsis baroque fait sens par la multiplication des effets et la dimension monumentale, on peut obtenir de grands effets avec peu. Julio Gonzales, artisan bijoutier à ses débuts, a inventé la sculpture contemporaine en étant un homme attaché à un établi, à des œuvres intimes.
J’utilise des morceaux de métal, que j’aime beaucoup mais le manque d’espace limite son usage et j’ai un penchant pour le bois, les végétaux. Il m’est arrivé de voir des sculptures de John Chamberlain qui étaient éblouissantes d’élégance, faites de tôles froissées comme un drapé de Balenciaga ! L’élégance et la sympathie sont deux termes à retenir. Ils constituent à mon avis le style, et le style, c’est la grande affaire de tout cela, le mot clé, le sésame ! Il y a toujours quelque chose de très sophistiqué dans une œuvre réussie fût-elle simple d’apparence. Cent fois sur le métier remettez votre ouvrage…

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Maternité, Didier Hays, dessin au crayon, 1990

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Quels artistes ont pu nourrir votre travail personnel ?

La question est embarrassante car ils sont nombreux. Vous aurez remarqué que j’utilise beaucoup les noms d’artistes, les citations. Ils sont des jalons, des sortes de cadrans lumineux qui éclairent notre route, on se construit sur les pierres jetées par nos maîtres, autant de choses qu’il faut rappeler.
Les grands axes : j’ai commencé par l’Art cistercien, et l’étude de l’ésotérisme chrétien, celui des constructeurs de cathédrales. Jeune étudiant, j’ai un jour rendu visite à Jean-Pierre Raynaud, qui venait d’achever les vitraux de l’abbaye de Noirlac, dans sa maison de Saint-Cloud et j’ai découvert comment un artiste pouvait se confronter à la grande architecture cistercienne. Mondrian m’a occupé un certain temps, j’aime l’œuvre mais aussi l’ascèse de l’homme, curieux personnage dansant le boogie woogie à plus de 70 ans dans les boîtes de Manhattan. Il y a chez lui une aspiration spirituelle certaine. Mais son monde est celui du protestantisme, je suis revenu maintenant à mes fioritures catholiques (rires). Je découvre ensuite l’œuvre d’Antoni Tapiès, que je rencontre aussi à Paris et me passionne à nouveau. Yves Klein m’intéresse à mes débuts aussi pour la spiritualité qui se dégage de ses recherches. Parallèlement à cela, je suis attiré par l’impertinence et l’aspect explosif des Dadaïstes et post Dadaïstes, et rencontre Paul-Armand Gette, un cousin artistique lointain de Raoul Hausmann dont j’admire l’œuvre photographique et la vie aux Baléares, avant son exil à Limoges.
La photographie est à mon sens un art mineur, je sais que cela va heurter beaucoup de personnes, mais c’est ainsi, je ne la considère qu’en complément des arts majeurs que sont la littérature, la poésie et la peinture, et bien sûr la sculpture. Si Michel Butor ou Jean-Marc Bustamante ont reconnu mon travail photographique, si j’ai eu la chance d’être adoubé par le grand Paul Facchetti (il a exposé Jackson Pollock pour la première fois à Paris, un homme charmant) je reste peintre avant tout, je ne parviens pas à me croire photographe. Au-delà de l’aspect révolutionnaire (« On casse tout ! ») ces artistes peuvent produire des choses subtiles, fines, c’est le cas de Schwitters. L’Art américain a été la plus forte influence ensuite, j’ai beaucoup aimé Tom Wesselmann et Roy Lichtenstein, un homme exquis, rencontré à Paris avec son épouse Dorothy.
Les Nouveaux Réalistes furent des compagnons de route, j’entretiens de bons rapports avec Jacques Mahé de la Villeglé et Gérard Deschamps et Raymond Hains fût un ami intime, une sorte de maître en poésie. Enfin l’Ecole de Nice, proche de Toulon, était pour moi symbole de liberté, de grand air, Ben Vautier et sa maison de Saint Pancrace une sorte de Mecque où régnait une poésie permanente. Support-Surface était lié à cette école, j’ai été l’assistant de Louis Cane, connu Marc Devade, mais mon affection toute respectueuse revient encore à Claude Viallat dont la sagesse et la profondeur de vue continuent de m’émouvoir. Ses bois flottés ont dû m’influencer, enfin je crois.
Mais la peinture et la sculpture sont là, avec la Tradition. Voici donc la grande affaire ! Il me fallait parcourir les musées européens, ce que j’ai fait grâce à des tarifs réduits ou gratuits en train, mon père étant employé de la SNCF. Là ce sont des chocs. La rencontre des titans, des géants. Les primitifs tout d’abord ! De Dirk Bouts à Lorenzo Monaco ! Puis Rubens, Van Dyck, Jordaens (que j’adore), les espagnols, tous les espagnols, Philippe de Champaigne et l’Ecole Française, qui sont indépassables. Les Ecoles du Nord sont une délectation absolue, je suis un fanatique de David Téniers le Jeune, un adepte de Ruisdael ! Mais ils sont trop nombreux… Il y a environ 10 ans, je suis revenu vers les primitifs italiens grâce à Alberto Magnelli qui avait influencé ma peinture abstraite : sèche, comme « a fresco », celle d’Assise et de Padoue. J’ai exposé une série à Nagoya, au Japon, et toutes les toiles ont été vendues à un moine bouddhiste propriétaire de bijouteries de luxe ! L’Orient est étonnant… Les primitifs italiens ne me quittent pas. Leurs œuvres sur panneaux de bois sont à la fois peinture, sculpture et architecture en réduction, avec une présence formidable qu’atteignent rarement les œuvres contemporaines par trop analytiques. Le sourire des Vierges des cathédrales ou celui des temples d’Angkor Vat n’analysent et ne critiquent rien : ils s’imposent, ils sont évidents.
J’ai aussi des marottes. Albert Marquet m’a intéressé au point d’acquérir (à grand peine !) un dessin et de collectionner tous les livres, catalogues, etc. Désormais je ne regarde plus que l’Art du passé, sans rien renier, mais ce sont les œuvres classiques qui l’emportent et sont la vraie source.

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Abstraction, Didier Hays, dessin et papiers assemblés, 1993

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Entretenez-vous des liens avec d’autres genres artistiques ? Musique, danse, cinéma ?

Oui. J’aime la musique populaire, une certaine variété, la musique de jazz, les crooners, la musique classique ! J’étais cinéphile, longtemps, je le suis moins car je considère que cette industrie vit une période difficile, tout comme les arts en général, les nouvelles techniques multipliant les sources sans générer beaucoup de nouveauté en profondeur. Comme Mondrian, je suis un danseur permanent, c’est un sport, une vocation, la joie totale. Mais soyons sérieux : au 20ème siècle le cinéma et la littérature, la poésie qui à mon avis les domine, les englobent, se nourrissent de la peinture et inversement. Blaise Cendrars a travaillé avec Abel Gance, etc.
Dès la période des études, j’ai compris l’intérêt de la vidéo dont Nam June Paik était à cette époque le pape. Je m’en suis servi pour créer de cours films jouant sur le temps, la durée, je filmais alors les pieds de danseurs contemporains et le débit de l’eau dans les caniveaux parisiens. Je trouvais cela très métaphysique. Ensuite, depuis 15 ans environ, je suis revenu à l’anecdote, au burlesque, voire au comique. Choses que je retrouve dans les films de Méliès, qui confinent à la poésie sans le vouloir, chez les frères Marx, et ce courant burlesque, cette poésie sous-jacente, je les trouve déjà chez David Téniers le Jeune. Dans ce domaine, la peinture d’Alfred Courmes est édifiante. Le cinéma italien et même les bêtises assumées de Benny Hill sont intéressants, c’est que l’on se nourrit de tout, voyez-vous ?
Me reviennent les mots de Paul Cézanne dans ses entretiens du Louvre : il dit en substance, que même le calendrier des Postes est pour lui source d’inspiration. On trouve ce goût pour le cocasse, un zeste de vulgarité dans sa période dite « couillarde ». Qui veut faire l’ange fait la bête dit-on. Il y a dans le comique des voies qui ouvrent vers le Vrai.

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Croix de peu au musée du Hiéron, Didier Hays, technique mixte, 2017-2019

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L’accrochage des Croix de peu se présente comme un cheminement à trouver dans les collections permanentes du musée, ce qui est plutôt inhabituel pour une exposition temporaire. Comment avez-vous vécu cette expérience muséographique ?

Avec joie. Ayant une certaine habitude des musées et des galeries, en tant que technicien pour l’accrochage d’œuvres, ce fût une délectation de passer de l’autre côté du miroir et d’agir directement, de se confronter aux grandes œuvres. Mais la tâche est difficile. Le cheminement est celui du style et des correspondances, des échos possibles entre les formes, les couleurs, le sens. Un travail d’agencement qui n’est pas anodin car la présence de chefs-d’œuvre peut bien sûr révéler les limites d’un travail.
Mais j’aime les défis. L’aspect contemporain et les dimensions restreintes de mon travail étaient une contrainte. Il a fallu trouver les emplacements les plus pertinents en jouant sur le décalage en hauteur, ou en accrochant un tableau à une hauteur inhabituelle, sous une immense toile au cadre imposant dans une sorte d’auto-ironie. C’était un jeu, montrer sa présence tout en restant discret, mon souci étant d’aller toujours vers l’harmonie en évitant les dissonances, j’espère avoir quelque peu réussi…

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Croix de peu, Didier Hays, technique mixte, 2017-2019

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Que répondriez-vous à un visiteur peu familier de l’Art contemporain qui dirait : « Je peux en faire autant » ?

Qu’il le fasse. Hélas, c’est impossible car c’est déjà fait ! Il pourra tenter d’imiter ce qu’il voit et j’espère sincèrement qu’il y parvienne ; j’aurais ainsi découvert un confrère ce qui est toujours une joie. C’est l’impression que j’ai lorsque j’entends les premières notes de la symphonie N°5 de Beethoven : « Ta ta ta ta ». Ou lorsque je regarde la ligne épurée d’une Ferrari Testarossa dessinée par Sergio Pininfarina, une simple robe noire d’Yves Saint Laurent ornée de quelques boutons dorés, lorsque je lis les merveilleux débuts de La Fontaine comme par exemple : « Maître corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un fromage ». Le simple paraît toujours facile mais il faut en général beaucoup de temps pour parvenir à donner cette impression de fraîcheur et de facilité. C’est une question de style qui se pose là : je peux imiter le coup de crayon épuré de Pininfarina mais jamais je n’aurais pu être le créateur d’une automobile aussi prestigieuse car c’est un métier.
Vous savez un artiste véritable et qui s’en donne vraiment la peine a plus d’un tour dans son sac. L’important c’est de chercher et puis de trouver, cela demande beaucoup de travail en ce qui me concerne. Alors, chacun à son établi et que le meilleur gagne. Oui,  je dirais à ce visiteur : faites-le !


Photos : © Didier Hays